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La marche à suivre 2019

Vous pouvez retrouver ou découvrir ici la restitution d'un récit collecté lors d’un des précédents Temps de Dire, sous forme de texte et/ou d’extraits audios du spectacle correspondant.

Régulièrement, un conteur ou une conteuse viendra sur la page de "la marche à suivre" vous raconter... sa rencontre.

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Où l'on apprend à éviter les trous noirs - l'histoire de Pépé

Un récit collecté à Albi (quartier centre) par Dominique Rousseau

Cinq heures du matin.

Le soleil se lève à peine derrière la cathédrale.

La place est déserte.

Et voilà Pépé.

Balaie, balaie, Pépé !

Il pousse son chariot. Les roues du chariot ont été changées. Elles faisaient du bruit. À cinq heures du matin, il y a des gens qui dorment fenêtre ouverte. Et quand Pépé passait avec son chariot qui faisait du bruit ça n’allait pas, mais quand il ne passait pas ça n’allait pas non plus.

Balaie, balaie, Pépé !

Tant qu’il fait nuit, il reste autour de la cathédrale. Faut pas aller dans les trous noirs, pas aller au fond du parking du Bondidou. Il fait des tas. Les uns après les autres ; quand il y a assez de tas il appelle le chef. Le chef envoie la machine.

Balaie, balaie, Pépé !

Voilà. C’est tout ce qu’il a à dire.

Balaie, Pépé, balaie !

Il s’entend bien avec ses collègues. Mais faut pas aller dans les trous noirs, pas aller au fond du Bondidou. À cinq heures du matin, il n’y a que des clochards dans la rue. Il les connaît. Il ne s’approche pas.

Voilà. C’est tout ce qu’il a à dire.

Il est arrivé un 11 novembre d’Andalousie. Bébé. Ses parents l’avaient amené pour le présenter à son grand-père qui avait fui l’Espagne depuis longtemps. Ils sont restés.

Balaie, balaie, Pépé !

Voilà, c’est tout ce qu’il a à dire. Son travail, c’est de donner l’exemple dans la ville. C’est pas donné à tout le monde, ça !

Voilà ce qu’il a à dire.

Balaie, Pépé, balaie !

Il s’entend bien avec ses collègues mais… faut pas aller au fond du Bondidou !

Quand le soleil se sera levé il ira s’acheter une chocolatine et des cigarettes. Il connaît tout le monde. Il ira discuter avec les gens. Il aime bien faire du « relactionnel ».

Voilà, c’est tout ce qu’il a à dire.

Balaie, balaie, Pépé !

Le chat et le cheval - deux histoires d'animaux de la mine

Récits collectés à Albi (quartier du Breuil) par Eva Hahn

 

* Chat *

 

Tôt ce matin, alors qu’il faisait encore nuit, je me suis fait capturer.

Dans une grosse caisse en bois.

Il m’a eu avec un appât, trop alléchant en cette saison de maigre et de froid.

Pourtant, j’avais un pressentiment… Au diable des félins la gourmandise !

Maintenant, ma prison est dans une grosse cage métallique qui descend dans les entrailles de la terre.

La grosse cage qui engloutit tous les jours des hommes, parfois même des bêtes…

Les hommes, elle les rend tous les jours, aussi quelques chevaux en été, mais les chats jamais…

La cage rend les hommes noirs de la tête aux pieds, noirs comme ma fourrure, à part le blanc de leurs yeux.

Mes yeux luisent vert dans le noir, ils percent l’obscurité.

 

La cage pleine de soixante hommes descend, avec un bruit infernal pour mes oreilles fines, les hommes parlent fort, les langues sont mélangées, polonais, espagnol, italien ou français.

Grincement de poulies, couinement de ferrailles, à travers ma caisse je sens des courants d’air glaciaux, que l’on traverse dans la descente…

Une minute et huit secondes, une éternité.

La secousse de l’arrêt de la cage au fond.

J’avais senti le poids de l’homme assis sur la caisse, au dessus de ma tête, et sa chaleur.

Il ouvre la caisse, je bondis en dehors,

Je m’oriente,

pas de retour possible,

Alors je m’enfuis dans une des galeries qui se présentent devant moi.

En frôlant les parois, je découvre mon nouveau monde, je flaire des odeurs familières :

Ici œuvre une société d’hommes, de chevaux, de chats, de rats et de souris… (Je flaire.) Ah ! on dirait même des oiseaux…

Mes yeux s’habituent vite.

Désormais je vivrai de ce que les hommes me laisseront, je chasserai comme avant…

Je me ferai une place dans mon clan et me blottirai dans les galeries chaudes.

Nous travaillons pour les hommes, nous avons des tâches à haute responsabilité :

Guetteurs,

Veilleurs.

Quand les parois suintent, quand un éboulement s’annonce, nous, le peuple de chats, le sentons très vite ; nous hurlons et fuyons les endroits dangereux.

Les hommes nous en sont reconnaissants, on a de bon amis parmi eux, et nous les veillons.

* Cheval *

Je suis un cheval de la mine

Non, je ne tirerai pas le treizième wagonnet.

Je refuse.

Je connais bien le poids exact de douze wagonnets pleins de roche charbonneuse.

Depuis toutes ces années que je trime ici, sous terre.

Douze, pas un de plus, c’est marqué dans le contrat.

Je vous jure, je suis assez crevé, vivement mes congés annuels bientôt !

Nous à Cagnac, les congés, c’est deux semaines dans l’année (en haut).

Deux semaines pour réapprendre à gambader dans les prés, à respirer le vent du matin, à sentir le soleil et la pluie, à contempler du monde d’en haut !

Nous sommes privilégiés !

Il paraît qu’il y a des collègues ailleurs qui ne sortent jamais – toute la vie sous terre, enterrés au labeur.

Et pensez… les chats aussi, bons camarades d’ailleurs. Ils nous débarrassent de ces rongeurs rapides et désagréables…

Faut dire, avec les congés, on tient beaucoup plus longtemps.

C’est une économie, pas trop d’humanité s’il vous plaît.

Au début des congés en haut, nous portons un masque doux pour filtrer la lumière. Autrement on devient aveugle… après 340 jours sous terre.

Mais vous n’imaginez pas la joie, le délassement, le poil brille…

C’est une autre vie dehors, même avec du travail…

Vous connaissez le cheval de Mémé Coco ?

Depuis des années il est livreur de charbon dans le quartier du Breuil, tout le monde le connaît.

Nous, de la mine, une fois qu’on est habitués à être bien dehors – retour au boulot dans les galeries, pour le reste de l’année…

On est bien soigné à la Mine.

Comme les hommes. Le travail est dur pour tout le monde.

Je suis un cheval de la mine.

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