Le jour du grand départ, les sept conteuses et conteurs du collectif n'en menaient pas large : au pied du mur face à ce projet mis en place depuis dix-huit mois à force de patience et de ténacité. Mais comme souvent, il n'y eut que le premier pas qui s'avéra réellement difficile au moment de prendre la route.

Jour après jour, profitant de rares moments de calme dans leurs journées surchargées, les groupes s'appelaient pour vérifier que chacun ressentait bien la même chose : ça marchait ! Les habitants venaient aux veillées, puis ils témoignaient de leur vie, de leur village, de leurs expériences ; enfin et surtout, le temps de la marche, le lendemain des collectages, permettait effectivement de digérer toutes ces rencontres pour monter dans l'urgence une veillée jouée le soir même à l'étape suivante... très souvent devant des habitants du village précédent qui riaient aux éclats ou versaient une larme sous l'œil surpris des locaux.

Les collectages concernaient tous les âges : enfants, adolescents, personnes actives ou retraitées. Les conteurs, grâce à leur technique d'écoute active, parvenaient à vaincre les réticences de ceux qui venaient parfois en disant... qu'ils n'avaient rien à dire. Comme ce vieil homme, venu dans l'idée de réciter les dates historiques de son village, et qui, une heure et demi plus tard, était reparti après avoir raconté sa vie à la fois simple et passionnante.

Une bonne nouvelle n'arrivant jamais seule, les sept artistes étaient sur la route, en pleine action, quand un coup de fil leur apprit que le Temps de Dire était lauréat de la Fondation Kronenbourg, une première reconnaissance qui en appellerait d'autres les mois suivants. Les trois groupes se sont rejoints à Saint-Sulpice, tout émerveillés de leur réussite, mais il fallait encore enchaîner les derniers récits et la grande veillée finale avant de pouvoir savourer quelques bulles et de commencer – juste commencer – à réaliser que c'était gagné.